Société
"Il passent leurs nerfs sur les femmes" : les harceleurs de sortie pendant le confinement
Publié le 21 avril 2020 à 18:55
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
A l'instar du coronavirus, le harcèlement de rue ne prend pas de vacances. Et l'invective "Restez chez vous" n'assure pas davantage la sûreté des femmes dans les villes et villages. Harcelées, insultées, agressées, elles témoignent.
Le harcèlement de rue se poursuit au temps du confinement. Le harcèlement de rue se poursuit au temps du confinement.© Adobe Stock
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Le confinement n'arrête pas le harcèlement de rue. C'est ce qu'affirme la RTBF l'espace d'un édifiant panorama. En Belgique, nombreuses sont effectivement les citoyennes à s'inquiéter pour leur sécurité dès qu'il s'agit de mettre le nez dehors. L'une d'entre elles témoigne même au média national : "J'ai eu comme un sentiment d'effroi en me disant que si quelqu'un m'agressait ici, je n'aurais personne pour m'aider. Cette pensée est revenue plusieurs fois quand je me promenais seule". Et en France, la situation est loin d'être plus rassurante.

"Je pense que le harcèlement progresse en ce moment", nous assure même Judith, 33 ans. Ces dernières semaines, Judith s'est faite insulter deux fois dans la rue. Et elle sait qu'elle n'est pas seule. Des histoires comme ça, elle en entend plein depuis le début du confinement. De commentaires déplacés, des insultes, des attouchements, des agressions physiques, "des mecs qui crachent sur des femmes en mode "t'as peur hein, t'as peur ?", poursuit-elle. Et c'est vrai : il suffit de tendre l'oreille pour que les mêmes récits s'accumulent, édifiants.

"Je me suis fait traiter de pute"

Cela faisait "très longtemps" qu'elle n'avait pas vécu ça. Et c'est finalement en ce contexte exceptionnel de confinement national que Judith a croisé la route de mecs "vénères" et de "relous", autrement dit d'hommes qui harcèlent et agressent. "Je me suis fait traiter de pute par un mec. Je lui demandais juste de pas se coller à moi dans la queue de la boulangerie", déplore la trentenaire. Et un autre l'a même poursuivie pour lui "demander des clopes". Quand elle sort pour faire ses courses, Judith a l'impression "qu'il n'y a plus que des fous dans la rue". Des fous, ou plutôt des anonymes qui sans scrupule "se défoulent, passent leurs nerfs sur des femmes". Comme si la situation actuelle d'isolement légitimait leur toxicité.

Et pourtant, c'est un irrespect assumé des règles de confinement que semblent brandir ces hommes qui investissent l'espace public pour mieux y affirmer leur autorité, parfois en bande, comme si de rien n'était. Et comme le respect, la distanciation sociale semble être en option.

Leslie pourrait le confirmer. Cette citadine de 33 ans s'est contentée d'aller faire ses courses, à cinq minutes de chez elle. Il n'en a pas fallu plus pour "qu'un type" vienne la charger de remarques "insistantes". Et quand elle sort, Leslie croise beaucoup plus d'hommes que de femmes : "Ils traînent en groupes, discutent sur des bancs, courent ensemble, j'ai limite envie de prendre des photos tellement c'est évident que la rue revient aux mecs".

"Tu portes une culotte ou un string?"

Une impression qui n'a rien d'un trouble optique. On sait (grâce à cette étude anglophone) que les hommes ont tendance à moins respecter le confinement que les femmes. Mais aussi que, d'ordinaire, crise ou non, ils accordent bien moins d'attention aux mesures sanitaires élémentaires. Ce qui explique en partie cette omniprésence qui va à l'encontre d'un "Restez chez vous" que tous n'ont apparemment pas bien assimilé. L'incidence que les enquêtes ne suggéraient cependant pas, c'est l'explosion de la culture du viol en ces temps de pandémie.

Alors que bien des femmes confinées subissent des violences conjugales (en inquiétante augmentation dans le pays), sortir est pour beaucoup synonyme de mise en danger. Et pour cause. Les transports en commun, comme les avenues, sont désertées. A une période déjà bien anxiogène s'ajoute l'angoisse d'y errer. Un sentiment encore vif dans l'esprit d'Alexandra. La semaine dernière, un homme l'a suivi dans le quartier de Saint-Lazare, à Paris. Il s'est approché d'elle. Lui a demandé de l'argent, puis des cigarettes. "Puis il s'est mis à se rapprocher de moi très près, à me coller, raconte-t-elle. Il m'a demandé ce que je portais comme sous-vêtements. 'Tu portes une culotte ou un string ? Oh, réponds-moi !'. Il a regardé à droite à gauche, s'est assuré que la rue soit vide pour me coller encore plus...".

 

Apeurée, la vingtenaire se met à marcher plus vite. Écouteurs aux oreilles, elle fait semblant de converser au téléphone. A ce moment-là, son agresseur n'est qu'à quelques centimètres d'elle. Heureusement, un autre homme finit par débarquer dans une rue perpendiculaire. Alexandra s'en approche rapidement afin que que l'inconnu prenne la fuite. "Il est parti en me traitant de grosse pute. Je n'ai jamais eu aussi peur. J'ai cru que j'allais me faire violer", raconte-t-elle. Aux yeux de Judith subsiste aussi cette accablante sensation d'être devenue "une proie".

Cette anxiété-là ne se limite pas au bouillon des grandes villes. Dans les villages aussi, les routes sont vides. Et les porcs, de sortie. "La semaine dernière, une camionnette est passée à côté de moi pendant que je faisais mon jogging. Le mec qui était dedans m'a dit : 'ça a changé le tapin !'. J'ai halluciné", s'attriste Clémence, 26 ans. Dans le coin de la Nouvelle-Aquitaine où elle se "confine", on dénombre une cinquantaine d'habitants, tout au plus. Pourtant, question "mauvaises rencontres", Clémence se croirait en pleine capitale. Du coup, elle emmène son chien, par sûreté face "aux relous qui se lâchent, certainement frustrés d'avoir moins d'occasions d'harceler".

"Je me suis faite 'draguer' par un flic"

"Ce qui m'est arrivé à St-Lazare, c'est quelque chose qui ne m'était encore jamais arrivé", déplore Alexandra. Pour Lucie aussi, la situation a changé : elle s'est empirée. Cette jeune femme de 23 ans loge dans un studio parisien, juste au dessus d'un carrefour très fréquenté. D'ordinaire, elle a donc l'habitude de "slalomer" entre les "forceurs" à l'insulte facile. Mais depuis un mois, c'est de plus en plus difficile. "Je me retrouve à devoir passer les mêmes 'checkpoint' qu'avant, mais en étant la seule femme sur plusieurs centaines de mètres", explique-t-elle.

En allant s'approvisionner, Lucie a déjà eu droit à des "Mademoiselle, vous êtes charmante. Bah vas-y, réponds pas surtout !" et autres "Bonjour. Allô, j'ai dit bonjour ! Salope". Des agressions verbales qu'elle essuie, écouteurs aux oreilles. "L'autre jour j'ai eu droit à un 'J'te baise', un mec m'a suivie jusqu'à chez moi, et un autre m'a vidé sa bouteille d'eau au visage", poursuit-elle.

Au gré des témoignages, les mêmes situations, la même violence. Mais les mesures de confinement, elles, diffèrent à travers le monde. Dans certains pays comme le Panama, la semaine est scindée en deux au niveau des jours de sortie : des jours "hommes", des jours "femmes". Si cette initiative a pour but de réduire le taux de citoyens dehors, elle pourrait éventuellement limiter le nombre d'agressions.

 

Mais cela, Lucie n'en est pas si sûre, loin de là. Car qui dit non-mixité ne dit pas forcément sécurité. "Je me suis aussi faite draguer dans la rue par un flic récemment", nous confie-t-elle d'ailleurs. Avant de poursuivre non sans ironie : "Il faut dire que ça reste des mecs avant d'être des flics, rien d'étonnant". Une amertume que partage Elise, 21 ans. Loin de Paris, c'est dans la ville côtière d'Anglet, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, qu'elle a croisé quelques uniformes. Et cette rencontre ne l'a pas vraiment rassurée.

"J'étais partie chercher du pain. Et là, j'ai croisé deux voitures de militaires, une patrouille qui venait de surveiller les plages, je présume. Ils m'ont fait m'arrêter, alors naïvement, je leur ai tendu mon attestation de déplacement. Mais ils m'ont répondu qu'ils préféreraient 'avoir mon numéro de téléphone' parce que j'étais 'incroyablement sexy' et qu'en cette période c'était 'excitant de voir des jambes'. Ils devaient avoir entre 20 et 30 ans, étaient morts de rire", narre-t-elle. Une triste expérience qui démoralise Lucie : "Quand tu es une jeune femme, tu n'as pas forcément envie de répliquer, tu sais que ça peut partir en vrille donc tu t'écrases, tu acquiesces et tu subis".

Subir, d'accord, mais jusqu'à quand ? "Ça devient épuisant. Avant j'étais beaucoup moins sujette au harcèlement de rue mais depuis le confinement c'est devenu mon quotidien et j'arrive à saturation", déplore la citadine. Une parole qui rappelle, celle, puissante, de l'autrice néerlandophone Lize Spit, citée par la RTBF : "Partout, des hommes nous ennuient, des machos excités. Après une promenade, vous ne voulez pas simplement vous laver les mains, vous souhaitez pouvoir rincer tout votre corps de tous ces regards sales et tous ces murmures".

Difficile de distancer des abus si banalisés. Il faut croire que le harcèlement de rue ne connaît pas la crise.

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